Vivre avec sa bipolarité

man-of-steel-henry-cavillOn m’a vu râler sur Twitter, sur Facebook, et parfois sur les forums où je mets les doigts, contre la sur-utilisation du trouble de la bipolarité en jeu, et plus encore, contre sa mauvaise utilisation. Il y avait d’autres sujets dans ma liste de ceux à aborder un jour sur les Chutes de Rozan, celui-ci s’avérant assez ardu. J’avais repoussé sa rédaction alors qu’il était prévu depuis mon article sur les 4 erreurs à ne pas commettre pour jouer un personnage « fou ». Le fait est que je commence à en avoir assez, donc pour ce mois de juillet, c’est quand même de cette maladie psychique dont je vais parler.

Commençons par éclaircir un point : je ne vous ferai pas de description clinique prolongée des troubles bipolaires. Wikipedia est justement là pour ça. Ce dont je veux parler aujourd’hui, c’est de ce que Wikipédia ne peut pas dire, parce que c’est une encyclopédie, que l’article se doit d’être factuel et qu’être touché par une maladie ne se limite pas aux symptômes. C’est un ressenti, un vécu, des souvenirs et, disons-le clairement, une certaine dose de souffrance.

Notez toutefois que ce qui va suivre n’est pas universel, mais ça devrait couvrir une bonne partie de ce que donne le quotidien d’une personne bipolaire. Notez également que je m’appuie sur ce que je connais le mieux, c’est-à-dire le type II (j’y reviendrai brièvement).

Sur ce…

Description sommaire pour les flemmards.

Le trouble bipolaire est un trouble de l’humeur. Il n’affecte pas la personnalité de la personne, mais l’influence selon les phases de la maladie qu’elle connaît. Il est important ici de faire attention au sens du mot “humeur”. J’ai coutume de dire que la bipolarité est à l’humeur volatile ce que le cancer de l’estomac est au mal de ventre. En somme, ça n’a rien à voir avec le stress ressenti à l’approche des examens ou le contentement d’une soirée entre amis.

L’humeur dans le cas de la bipolarité, c’est une phase qui dure, en général, de plusieurs semaines à plusieurs mois. On parle de phase dès une semaine (moins dans les cas nécessitant une hospitalisation). Ces phases sont appelés épisodes et il en existe plusieurs sortes. Comme je parlais plus haut de type II, allons-y pour un récapitulatif bref :

  • Le type I connaît des phases de manie (“exaltation”) et de dépression majeure ;
  • Le type II connaît des phases d’hypomanie (“exaltation légère”) et de dépression majeure ;
  • La cyclothymie connaît des phases d’hypomanie et de dépression.

Il existe une quatrième catégorie un peu plus fourre-tout pour les cas ne rentrant pas dans les cases ci-dessus. Certaines personnes sont également dites à cycles rapides lorsqu’elles connaissent quatre épisodes ou plus durant l’année. Bref, je l’ai dit : nous sommes loin du passage du rire aux larmes trois fois par jour.

J’ai mis des liens sur plusieurs termes pour ne pas avoir à la définir médiocrement ici, mais je tiens à insister sur le fait que hypomanie ou pas, dépression majeure ou pas, ces phases sont intenses. Ne vous laissez donc pas tromper par la légèreté apparente de l’hypomanie ou la gravité atténuée des phases dépressives de la cyclothymie.

Deux autres états existent également. On commencera avec les épisodes mixtes, les plus dangereux pour la personne atteinte par la maladie, puisqu’ils présentent des symptômes à la fois des phases maniaques/hypomaniaques et des phases dépressives. Ces symptômes présents en simultané, sans jamais pencher vraiment vers une phase ou l’autre, sont épuisants émotionnellement, beaucoup plus instables donc moins prévisibles, et très difficiles à gérer. C’est durant les épisodes mixtes qu’a lieu la majorité des tentatives de suicide.

clark-kent-man-of-steel-glasses-henry-cavillIl existe toutefois des phases asymptomatiques ou euthymiques durant laquelle l’humeur est considérée comme normale. La maladie n’est pas absente pour autant. L’humeur est peut-être égale, mais les affects de la maladie sont bel et bien là, eux. Qu’on parle du sentiment d’échec, de la baisse d’estime de soi, des addictions ou des conséquences suites aux trop grands risques pris.

Dernier point de cette première partie : le trouble bipolaire tue. Voilà. C’est dit. Que ce soit les suicides, les overdoses, la santé qui se détériore à force d’addictions (alcool ou cigarettes, pour ne citer que les plus communément acceptables), les risques inconsidérés et les accidents qui les accompagnent parfois. Les derniers chiffres que j’avais trouvé sur le sujet faisaient état d’une espérance de vie réduite de 20 ans en moyenne sans traitement adapté.

Vous avez toujours envie d’infliger ça à votre personnage ? Laissez-moi vous dire pourquoi il vous hait pour ça.

Parce qu’il n’a rien fait pour mériter ça :

Parce qu’il peut passer une bonne soirée entre amis, s’amuser, se faire plaisir, et se dire d’un seul coup que tout serait plus simple s’il mourrait. (épisode mixte)

Parce qu’elle se dira qu’elle a enfin réussir à se sortir de sa dépression, qu’elle va mieux, et quelques temps plus tard, qu’elle va tellement mieux ! Puis elle se réveillera un matin en ayant envie de rien, réalisera que la dépression est à nouveau là, et pensera qu’elle est juste faible. Que si elle était assez forte, que si – comme tout le monde le lui répète – elle faisait juste preuve de bonne volonté, elle irait bien.

Parce que “tout le monde a des hauts et des bas”. Parce que les autres ont peut-être raison. Peut-être qu’il fait tout une montagne de pas grand-chose. Mais comment font les autres pour s’en sortir si bien quand lui n’y arrive juste pas quoi qu’il fasse ?

Parce que “tu ne fais jamais ce que tu dis”. Parce qu’elle a des idées géniales, tellement de projets, tellement d’énergie, tellement de volonté ! Mais elle a trop d’idées et ne les mène pas toutes à terme malgré ses promesses. Parce que son énergie finit toujours par s’éteindre.

Parce que les gens sont bêtes et tellement lents ! Parce qu’ils ne comprennent pas son génie, parce que lui peut faire tellement mieux qu’eux. Parce qu’il est arrogant, égocentrique, irritable, ne se tait jamais et ne dort pas assez. Parce qu’il est en phase “up” et qu’il se sent invincible.

Parce qu’il ne l’est pas.

Parce qu’elle souffre peut-être du Trouble de Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H pour les intimes). Ou de TOC. Ou du Trouble de la personnalité borderline. Parce que la bipolarité est souvent accompagnée d’autre chose.

Parce qu’il évitera peut-être les addictions, la boulimie et l’anorexie. Parce qu’il réussira peut-être à ne pas se ruiner compulsivement. Parce qu’il aura peut-être une sexualité qui ne souffrira pas d’excès ou de manque de prudence. Parce que ce contrôle sur lui-même sera tellement intense que pour ne pas faire de bêtise, il ne fera juste rien. Et parce qu’il se détestera pour ça et ne sera pas toujours convaincu que ne pas céder, ne pas craquer pour oublier son quotidien, est vraiment ce qu’il veut.

Parce qu’elle prend des médicaments, mais que comme pratiquement tous les autres, ils ne sont pas adaptés pour les femmes. Parce qu’ils ne tiennent pas compte des variations hormonales. Parce qu’à chaque fois qu’elle a ses règles, ils ne font plus effet ou plus autant. Parce qu’elle ne réalisera pas toujours que les pensées suicidaires qui sortent de nulle part alors qu’elle est sous traitement sont juste dues à ça.

Parce qu’il y a des médicaments et que vous n’y pensez pas.

Et parce qu’on n’en guérit pas.

Parce qu’on n’en guérit pas.

Parce que les médicaments peuvent égaliser l’humeur quand on a trouvé le bon à la bonne dose, mais il n’aura pas toujours envie que son humeur soit égale. Parce que c’est chiant, parce que c’est terne, parce que “comment les gens normaux font pour vivre comme ça ?”. Parce que la bipolarité, c’est intense et les phases “up” manquent.

batman-v-superman-15-greatest-moments-905153Parce qu’elle s’y fera et aura l’impression d’aller mieux et d’être capable de gérer sans béquille. Parce qu’elle voudra arrêter les médicaments. Parce qu’il y aura des gens pour l’encourager à le faire. Et ces mêmes gens diront plus tard qu’elle avait l’air de bien gérer, mais elle a flanché. Elle n’a pas flanché, elle a changé de cycle.

Parce que se résoudre à prendre des médicaments à vie n’est pas facile. Parce que se demander, s’il veut vivre dans un autre pays, à quel point il pourra toujours accéder aux soins et combien il devra débourser pour ça est quelque chose dont il se passerait bien.

Parce que c’est un handicap, et qui a envie d’en avoir un ?

Parce qu’il est plus facile pour elle de faire un coming out sur son orientation sexuelle que de dire aux gens “Hey, je suis bipolaire, je prends des médicaments et ce n’est pas contagieux”.

Parce que contrairement à l’opinion générale, la plupart du temps, ça ne se voit pas. Parce que le reste du monde mettra ce qu’il voit sur le compte de défauts de la personne plutôt que de symptômes d’une maladie qu’il ne connaît pas. Parce qu’on l’abreuve d’idées fausses sur ladite maladie. Parce qu’il a peur que ça n’arrive pas qu’aux autres, finalement.

Parce que la bipolarité n’a rien de drôle et que si ceux qu’elle affecte en parlent parfois volontiers pour l’expliquer à des gens prêts à écouter sans juger, ces mêmes personnes aimeraient qu’on cesse d’utiliser leur maladie pour le drama d’un personnage.

Parce qu’il y a bien des choses qui peuvent affecter l’humeur de quelqu’un : être HP (surdoué), un ESPT (état de stress post-traumatique), le TDA/H, la drogue… Parce que si vous décidez quand même d’avoir un personnage atteint de ce trouble, par respect pour les personnes qui vivent réellement avec, il serait bon de jouer avec tous ses aspects.

Et parce que vous trouverez ailleurs d’autres articles et témoignages pour aller plus loin :

8 réflexions sur “Vivre avec sa bipolarité

  1. Bonjour,
    J’ai beaucoup entendu parler de cette maladie, avant elle était connue sous le nom de maniacodépressif, si la personne atteinte n’est pas soignée et prise en charge médicalement, ca peu mener malheureusement au suicide, je me suis intéressée dernièrement au troubles et maladies psychique, car moi même je soufre d’anxiété, selon mon expérience personnelle, et les conseils de mon médecin, la vrai solution est de connaitre ses limites, écouter son corps c’est vrai qu’on a tous des rêves, mais l’essentiel pour moi est de prendre soin de soi même, profiter de la vie, avoir un travail qui n’est pas très stressant, s’éloigner des gens toxiques, avoir une bonne hygiène de vie, bien manger, faire du sport , éviter les conflits, connaitre ses limites, éviter les news, tout ce qui est triste, comme musique, films, personnes, et ca marche, en revanche il faut se crée sa propre bulle, garder ses rêves, connaitre des gens optimistes,
    j’espère que mon témoignage peut aider beaucoup de gens, la stabilité est très importante et obligatoire pour avoir une vie bien équilibrée.
    merci beaucoup
    bonne journée
    mona

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  2. Merci pour ce témoignage. En tant que joueuse de RP, je trouve dommage d’avoir un perso bipolaire pour le drama quand c’est l’occasion de découvrir quelque chose qu’on ne connait pas. Espérons que ces joueurs finiront pas évoluer et trouver une autre forme d’intérêt dans le jeu 🙂

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    • Souhaitons-le, oui… Quant au témoignage, il n’est pas exclusivement mien mais j’espère qu’il sera utile à quelques uns.

      Merci d’avoir pris le temps de commenter.

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  3. Cette article me touche beaucoup. Je joue un personnage atteinte de troubles (post traumatique) , pas pour le plaisir de créer du drama gratuitement, mais parce que je me suis intéressée à tout ça après des expériences personnelles et j’ai été touchée face à ceci. Quand je crée un perso, je l’aime, même si son comportement peut être totalement incompris et mal interpréter. Quelque part, je me « glisse » dans la peau pour mieux comprendre, c’est pour ça que je peux passer plusieurs heures à écouter des spécialistes ou des témoignages pour ne pas être à côté de la plaque.
    Je trouve dommage de trouver des personnes qui ne font pas quelques recherches quand ils vont pour faire un personnage avec des troubles, c’est vide et c’est pour le délire d’avoir un « Joker »…
    Merci pour ton article, et ces témoignages. 🙂

    Aimé par 2 personnes

  4. Bonjour,

    Merci pour cet article vraiment intéressant, sur un sujet qui me concerne. Bien que je ne sois pas bipolaire, je suis autiste et, depuis le succès de séries comme Sherlock ou Big Bang Theory, on trouve de plus en plus de personnages de ce genre sur les forums rpg. Moi-même, j’ai tendance à jouer presque uniquement des personnages autistes (diagnostiqués ou non), puisqu’il m’est beaucoup plus aisé de les jouer que de mettre à la place de neurotypiques.

    La représentation de l’autisme se limite souvent à un perso « acariâtre », un « génie » dans tel ou tel domaine qui se montre désagréable avec les autres « parce qu’il ne sait pas y faire ». Il y a une vision très limitée de l’autisme, ce qui est dommage parce que nous sommes tous très différents les uns des autres.

    Je suis pour la représentation et je suis contente de voir que de plus en plus de gens prennent conscience de l’existence de cette neurodivergence. Ce qui m’intrigue, en revanche, c’est à quel point les gens semblent peu réceptifs à l’idée de recevoir des conseils ou une expérience de vie de la part de quelqu’un qui expérimente réellement ça.

    Sur un forum rpg, quelqu’un a inscrit un perso autiste asperger, avec tous les clichés qui vont avec. Gentiment, je lui ai envoyé un MP en parlant de mon cas, en disant que je serais ravie de lui apporter mon aide et de l’éduquer sur le sujet et que j’étais heureuse de voir un autre personnage autiste. Résultat ? Disparition totale du membre. Pas une réponse.

    Bref, j’ai adoré votre article et ça m’a fait réfléchir sur un certain nombre de choses. Je joue aussi des persos différemment neurodivergents/atteints de maladie mentale (un de mes persos est schizophrène et autiste, bien que seul le premier trait soit diagnostiqué officiellement) et je suis vraiment décidée à retranscrire la chose aussi proche que possible de la réalité. Je pense que c’est important de ne pas perpétuer des clichés qui peuvent être très blessants.

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    • Bonjour !

      J’ai eu exactement le même cas de figure sur un forum. Une demoiselle qui s’est inscrite avec un personnage bipolaire (et borderline, parce que bipolaire n’était pas assez apparemment), à qui j’ai envoyé un MP pour lui donner des infos complémentaires parce que c’était bourré de clichés. Elle a disparu un peu après…

      Enfin, je suppose que personne n’aime s’entendre dire qu’on ne s’y prend pas correctement, au fond.

      Merci pour votre commentaire et témoignage en tout cas, et bonne journée =D

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